• Il est salutaire de mettre au jour les falsifications fréquentes qui permettent à la Gauche de se tailler les plus jolis costumes de pureté et d'innocence. L'Histoire est une discipline à la fois des plus nécessaires et aussi, pour cette raison, des plus sensibles. (Les notes sont de moi.)

    Le fait est que les hérauts des « deux France » sont moins naïfs qu'ils ne le paraissent. Ils admettent, certes de mauvaise grâce, qu'il y a eu de gens d'extrême-droite, voire des maurassiens antisémites dans la résistance. Ils connaissent les glissements qui ont conduit des gens de gauche vers le pétainisme et des antifascistes au nazisme. Ils considèrent cependant que ces cas, dont ils minimisent le nombre et la représentativité, ne sont pas de taille à remettre en question la validité de leur idée principale. La collaboration de gauche n'est pas masquée dans sa totalité, ce qui serait un peu fort, mails elle l'est dans sa nature (qu'on présente comme déviante, alors que la collaboration de droite est décrite comme naturelle) et dans son ampleur, qu'on réduit autant que possible par divers procédés. La méthode consiste à être scrupuleux à l'extrême dans le décompte des collaborateurs de gauche, mais emphatique et globalisateur dans le repérage des collaborateurs de droite¹. Plus générallement, un collaborateur venant des Croix-de-Feu n'échappera pas à son passé et sera stigmatisé, avec insistance, comme Croix-de-Feu. En revanche, un collaborateur venu du Parti radical ou du Parti socialiste perdra miraculeusement son indication d'origine : il sera étiqueté technocrâte sans âme, complice de Laval ou personnage redoutable et ambitieux. Un sophisme imparable  couvrira parfois le tout, présupposant que quiconque collabore, par le fait même qu'il collabore, est positionné à droite ou à l'extrême-droite².

    Simon Epstein, Les Dreyfusards sour l'Occupation, Albin Michel, 2001, pages 335-336

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    ¹ L'auteur, dans une note, donne l'exemple de Jean-Pierre Azéma qui, dans l'Histoire de l'extrême-droite en France, n'envisage parmi les collaborateurs que ceux qui étaient encore à Gauche en 1938, alors qu'il n'hésite pas à remonter plus avant pour les collaborateurs venant de la Droite.

    ² Une pratique qu'il faut bien dire habituelle : on reprochera toujours à un homme de droite un passé trop extrême, mais beaucoup plus rarement à un homme de gauche.


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  • Des mots écrits en 2003, après le séisme d'avril 2002, mais qui tracent une problématique encore actuelle. La gauche se débat pour éviter absolument ces changements, qui signeraient l'écroulement de son hégémonie culturelle. Ils sont pourtant des plus salutaires.

    Le complexe de gauche est double.

    Pour la gauche il s'agit d'un complexe de supériorité ; pour ceux qui n'en sont pas, d'un complexe d'infériorité. L'effet est cumulatif : plus la gauche se sent supérieure, plus les autres sont complexés de ne pas en être. Cela dure depuis le début du XXème siècle. [...] Il peut paraître paradoxal de s'intéresser aux effets pernicieux de ce complexe au moment où notre vieille gauche bat de l'aile après son cuisant échec du printemps 2002. [...] Certes non. En fait, selon une règle déjà maintes fois observée dans la vie politique française, plus la gauche est minoritaire, plus elle est à terre, plus elle est défaite, et plus elle est agressive idéologiquement, plus elle se crispe sur ses certitudes, plus elle s'accroche à ses vieilles croyances. Plus elle cherche alors à complexer les autres. [...] Si la gauche veut sortir du marasme où elle s'est placée elle-même, elle doit repenser ses méthodes, laisser tomber ses vieux réflexes, apprendre la modestie. Si la droite veut prendre confiance en elle, au-delà de quelques rodomontades sécuritaires, elle doit savoir assumer ses choix, bousculer ses habitudes, croire aux bienfaits de la politique. [...] Le complexe de gauche est condamné à disparaître puisqu'il en va de l'inévitable modernisation des mœurs et de la vie politique française, à l'instar de ce qui s'est déjà accompli ailleurs.

    Thierry Wolton, Comment guérir du complexe de gauche, Plon, 2003, pp. 9 à 12.


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  • La polémique Guéant est tombée pile au moment où je lis un excellent Revel. Dans ce livre, la fin du chapitre 7 offre un passage expliquant pourquoi il est légitime de juger les civilisations (ou les cultures, ou les sociétés) :

    Ce n'est qu'avec la civilisation grecque, puis avec Rome et avec l'Europe moderne, que naquit un jour dans une culture, non certes une totale modestie, mais un point de vue critique de soi au sein de cette même culture. Avec Montaigne, par exemple, et bien sûr, encore plus avec Montesquieu, se développe pleinement le thème de la relativité des valeurs culturelles. À savoir : nous n'avons pas le droit de décréter une coutume inférieure à la nôtre simplement parce qu'elle en diffère, et nous devons nous rendre capables de juger notre propre coutume comme si nous l'observions du dehors.

    Seulement, chez Platon, Aristote ou, au XVIIIe siècle, chez les philosophes des Lumières (dont font partie les Pères fondateurs américains), ce principe relativiste signifie non pas que toutes les coutumes se valent, mais que toutes doivent être impartialement jugées, y compris la nôtre. Nous ne devions pas, selon eux, être plus indulgents pour nous-mêmes que pour autrui, mais nous ne devions pas non plus être plus indulgents pour autrui que pour nous-mêmes. L'originalité de la culture occidentale est d'avoir établi un tribunal des valeurs humaines, des droits de l'homme et des critères de rationalité devant lequel toutes les civilisations doivent également comparaître.

    Jean-François Revel, La Connaissance inutile, Grasset, 1988, page 116.


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  • L'extrait d'aujourd'hui offre une belle explication du caractère souvent inexpiable des querelles politiques. Mais c'est aussi un argument puissant illustrant la nécessité supérieure du libéralisme.

    En effet, ces clivages se caractérisent par le fait qu'ils ne s'apaisent nullement par la discussion et la polémique. Deux ou trois siècles de contacts et de discussions n'ont nullement éteint, par exemple, les querelles entre la « droite » et la « gauche ». [...] Loin de s'apaiser à mesure qu'on discute, elles s'aggravent, dirait-on, avec la discussion ; et elles se renouvellent avec la même vigueur à chaque génération. Ce qu'on peut expliquer comme suit. Le propre d'une discussion est de conduire chacun à énoncer les principes qui guident sa réflexion et son action : pour justifier la position qu'on prend sur tel ou tel problème concret, on la présente comme la simple application à ce problème d'un certain principe général, que l'on est alors incité à expliquer. On escompte qu'autrui se rendra à l'argument et changera sa position, puisque, spontanément, on n'imagine même pas qu'il puisse contester le principe [...]. Or, il se trouve que le véritable adversaire politique, loin d'être convaincu par l'argument, est en général encore moins disposé à accepter le principe qu'on lui oppose que la position concrète que ce principe était censé justifier. Par conséquent, le fait d'avoir explicité ce principe diminue le consensus au lieu de l'augmenter ; on découvre que l'interlocuteur est décidément un adversaire. [...] Avec des adversaires, plus on polémique, plus il est clair que ce sont les catégories mentales, les « conceptions du monde » même qui diffèrent chez l'un et chez l'autre interlocuteur : il n'y a plus de communication possible. Autrui paraît être, selon le cas, fou ou méchant.

    Philipe Némo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains, PUF, deuxième édition, 2002, pages 14 et 15.


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  • L'hommage du vice à la vertu...

    Nos blocages pourraient donc tenir essentiellement à cette « exception française » de nature idéologique. Notre grand problème pourrait bien être que notre classe influente - hommes politiques, cadres administratifs, journalistes, enseignants de tous nivaux - pense désormais selon des schémas socialisants, et ceci, je le répète, que les intéressés en soient conscients ou non, car ce qui caractérise la « pensée unique » d'une collectivité est précisément le fait qu'on n'est pas conscient des préjugés qui l'encadrent, de même que les gens habitués à vivre dans un lieu où règne une certaine odeur ne sentent rien. La droite française ne se rend pas compte qu'elle est plus à gauche que les gauches des grands pays européens et anglo-saxons. [...]

    En somme, la France est le seul grand pays développé où la propagande de la gauche a intégralement atteint ses buts. Soyons fair-play et saluons les artistes !

    Philippe Némo, La France aveuglée par le socialisme, François Bourin Éditeur, 2011, pages 8 et 9


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  • Voici un autre extrait, de saison comme le précédent, mais de nature à jeter un éclairage sur la docilité généralement partagée envers la ponction fiscale.

    Avant d'analyser ce que sont vraiment la « solidarité » et la « justice sociale », interrogeons-nous sur cette étrange docilité des laborieux. Continuent-ils à travailler autant, malgré la spoliation fiscale, par appât du gain ? Sans doute en partie. Disposés à l'effort par nature ou par éducation, ils pensent que l'impôt ne leur prendra pas tout et que ce qui leur restera vaut malgré tout la peine qu'ils prennent à le produire. Mais surtout l'idée qu'ils ont d'eux-mêmes, de leurs talents, de leurs capacités, de leur place dans la société, leur fait considérer comme une insupportable diminutio capitis tout recul qu'ils prendraient par rapport à leur activité professionnelle. L'orgueil des laborieux est ainsi le meilleur allié des sbires de l'impôt.

    Claude Reichman, « L'oppression fiscale », in Alain Laurent, Théories contre l'impôt, Les Belles Lettres, 2000, page X.


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  • Aujourd'hui, un extrait tout à fait de saison.

    L’impôt n’est démocratiquement justifié que si, en face de ma contribution, l’État inscrit une dépense utile. Il devient inacceptable si l’argent public sert à financer le gaspillage. D’autant plus que le gaspillage, quand l’habitude en est prise, tend à croître sans cesse, et entraîne ainsi l’accroissement parallèle des prélèvements obligatoires.

    L'impôt s'alourdit parce qu'il est mal utilisé. Il augmente en proportion directe de la répugnance de l'État gestionnaire à se réformer et à mettre de l'ordre dans ses dépenses. Si la démagogie antifiscale est irresponsable, l'État lui-même peut l'être tout autant. C'est pourquoi il faut à la démagogie substituer la « critique » fiscale responsable, équitable, raisonnable. […]

    Quel usage l’État fait-il de nôtre argent ? Le droit pour le citoyen de le vérifier est, comme l’impôt même, une condition de la démocratie et en fut même l’origine.

    Jean-François Revel, L'Absolutisme inefficace. Ou contre le présidentialisme à la française, Plon, 1992, page 103.


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